Chapitre 20
Il était tard quand je rentrai chez moi. Mon corps et mon esprit souffraient du manque de sommeil. Sur pilote automatique, je consultai mon répondeur en me demandant pourquoi je n’avais pas encore eu de nouvelles d’Adam. Avait-il eu la trouille de parler à Dom ? Ou bien avait-il eu une réponse qui ne lui avait pas plu ? Je n’étais pas certaine de tenir à le savoir mais, étant donné les circonstances, il n’était pas question que j’aille me coucher avec trois messages sur mon répondeur.
La première personne avait raccroché. La deuxième était une journaliste. Elle voulait que je la rappelle pour parler de l’exorcisme de cet après-midi. Je ne comprenais pas en quoi cela pouvait l’intéresser. L’exorcisme ne faisait plus la une des journaux depuis un bon moment. Elle avait laissé un numéro mais je me contentai d’éclater de rire. Comme si j’avais besoin de la presse dans ma vie !
Je pensais que le troisième coup de fil serait d’Adam. J’aurais préféré ne pas me tromper.
L’identificateur d’appel signalait un numéro inconnu et, tout d’abord, je crus qu’il n’y aurait pas de message. Mon doigt était à mi-chemin du bouton « Effacer » quand une voix déformée par un filtre s’éleva. Un frisson parcourut mon échine dès les premières paroles.
— Tu ferais mieux de prier pour que Jordan Maguire vive, disait le message, et la voix était si brouillée que je n’aurais su dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme. S’il meurt, tu meurs aussi. C’est le seul avertissement.
Je fermai les yeux et pinçai l’arête de mon nez. Autrefois, une menace de ce genre m’aurait… non pas exactement paniquée, mais tout du moins mise en état d’alerte. Ce soir… le message m’effraya un peu. Mais après ce que j’avais traversé depuis que Lugh était entré dans ma vie, ce message représentait plus un désagrément qu’une véritable inquiétude. Oh, comme je regrettais les jours où une menace de mort sur mon répondeur était le plus gros problème de ma vie !
Ce que j’avais de mieux à faire, c’était d’appeler la police. Quand je lis un livre ou que je regarde un film dans lequel l’héroïne omet d’appeler la police alors qu’elle est menacée, je la traite d’idiote. Mais il s’était passé bien trop de choses dans ma vie ces derniers temps et j’avais eu un peu trop de démêlés avec la loi. Adam m’avait extirpée des situations les plus délicates, mais j’avais dû faire retentir toutes les sonnettes d’alarme de la police. Si je leur téléphonais maintenant, cela pourrait rappeler à certains de déterrer les dossiers concernant mon arrestation pour exorcisme illégal, ou l’enlèvement de Brian, ou la mort de mon père dans un accident de voiture ou encore le cambriolage et l’agression au domicile de mes parents alors que je me trouvais comme par hasard sur place.
Si j’avais pensé que les flics pouvaient vraiment m’aider, j’aurais peut-être passé ce coup de fil. Mais je doutais sérieusement qu’une personne qui altérait sa voix ait passé un appel que la police puisse remonter. Alors que feraient les flics ? À part m’obliger à les attendre pendant des heures puis me couvrir de regards soupçonneux et de questions insidieuses ?
Je me mordis la lèvre. Quel était l’enjeu concernant ce Jordan Maguire ? Qui tenait à ce point à lui pour me menacer, et pourquoi cette journaliste avait-elle appelé ? Puisque j’avais été engagée par l’État et pas par la famille de Maguire, les seules informations dont je disposais étaient celles se rapportant à sa condamnation. J’aurais dû me renseigner sur son passé avant de prendre cette affaire, mais je ne le faisais pas habituellement.
Je voulais seulement me mettre au lit et oublier tout ça, mais je n’avais pas le choix. Je fis donc une recherche sur Internet au sujet de Maguire. Je n’appris pas grand-chose sur le type que j’avais exorcisé, mais je découvris que Jordan Maguire Senior était assez riche pour avoir doté le lycée de son fils d’un nouveau complexe d’athlétisme valant plusieurs millions, pour lancer un programme de mégabourses au profit d’artistes défavorisés au nom de sa fille et pour participer à la construction d’une nouvelle aile de l’hôpital de Pennsylvanie. Ce qui, en quelque sorte, faisait de Jordan Junior une célébrité locale – d’où l’appel du journaliste – et de Jordan Senior un ennemi puissant potentiel.
Je jurai longtemps et à voix haute. Je n’avais pas besoin d’ennemis supplémentaires ! Je n’avais eu aucune idée du caractère extraordinaire de Jordan Maguire quand j’avais accepté de pratiquer cet exorcisme. Je m’étais bien douté quand il en était ressorti avec le cerveau grillé que sa famille n’allait pas être contente et cela ne m’aurait pas choquée d’apprendre qu’ils en voulaient à l’exorciste. Une petite minorité – mais qui savaient se faire entendre – croyait que les hôtes qui sortaient d’un exorcisme dans le coma – par opposition à ceux qui s’en sortaient avec des lésions cérébrales – étaient les victimes d’exorcistes incompétents et malveillants. C’est toujours rassurant d’avoir un bouc émissaire.
Quelques procès qui avaient fait la une, mais puisqu’il n’y avait pas moyen de prouver que l’exorciste avait fait quoi que ce soit de mal, aucune charge n’avait été retenue. Bien sûr, dans un pays où on peut attaquer McDonald parce qu’on y sert du café chaud, je suppose qu’il n’est pas surprenant que des avocats avec des signes dollar plein les mirettes espèrent trouver un moyen de tenir les exorcistes pour responsables.
Résignée, j’éteignis l’ordinateur. Maguire n’était plus mon problème. La personne qui avait laissé la menace de mort sur mon répondeur avait probablement craché sa haine et les choses se calmeraient dans les jours et semaines à venir.
Mais j’eus du mal à m’en persuader. Je dormis avec mon Taser cette nuit-là. J’avais pu constater à quel point la sécurité de mon immeuble pouvait être déficiente.
Malgré l’angoisse qui cliquetait dans mon cerveau comme une paire de maracas, je réussis à m’endormir. J’aurais certainement dormi jusqu’à midi si le téléphone n’avait pas sonné à 8 heures. C’était de nouveau la journaliste qui voulait savoir si j’avais des commentaires sur la décision qu’avait prise la famille Maguire de débrancher leur fils dans l’après-midi. J’avais en effet quelques commentaires mais certainement pas au sujet de l’exorcisme ni de Jordan Maguire.
J’essayai de me rendormir, mais le téléphone sonna de nouveau à huit heures et demie. J’étais prête à donner à la journaliste le genre de commentaires susceptibles de m’envoyer au poste de police quand, en consultant l’identificateur d’appel, je vis qu’il s’agissait de Brian.
J’envisageai sérieusement de laisser mon répondeur prendre le message. Non pas que je ne souhaitais pas parler à Brian, mais je ne souhaitais pas lui parler de l’affaire Maguire. Il avait dû lire quelque chose dans le journal à ce sujet et voudrait galamment me soutenir en cette période difficile. Je ne voulais pas avoir affaire avec lui dans son mode « chevalier en armure scintillante ». C’est vrai, je suis vraiment garce le matin tant que je n’ai pas bu mon café.
La vertu l’emporta et je décrochai le téléphone.
— Si tu mentionnes Jordan Maguire, on ne baise pas pendant au moins trois mois, dis-je.
Brian gloussa.
— Toi, tu n’as pas encore bu ton café.
Pourquoi tout le monde s’amuse-t-il tellement à mes dépens ?
— Je dormais profondément, alors non.
Cela faisait une demi-heure que je ne dormais plus profondément. Mais si on ne peut plus exagérer un peu entre amis…
— Je suis désolé de te réveiller, dit Brian. Mais ça ne peut pas attendre. Je passe te voir. Je serai là dans une demi-heure.
— Hein ? fis-je en jetant un coup d’œil vers mon réveil. Qu’est-ce qui se passe ? Tu ne devrais pas être au travail ?
En fait, s’il respectait sa routine quotidienne, il aurait dû être au bureau depuis une demi-heure. Je me sentis soudain beaucoup plus éveillée, ce qui n’était pas nécessairement une bonne chose.
— Je ne peux pas t’en parler au téléphone, dit-il. Fais-toi une perfusion de caféine et je te vois tout à l’heure.
À ma grande surprise, il raccrocha. Pas le genre de Brian de faire des mystères.
Abandonnant l’espoir de dormir plus longtemps, je sortis du lit en me frottant les yeux. Je préparai du café et, juste après ma douche, je fus accueillie par l’arôme paradisiaque. Je me brûlai la langue à la première gorgée, mais ça valait le coup.
J’étais encore en peignoir quand Brian arriva. Une fille doit avoir des priorités dans la vie et le café vient avant les vêtements pour moi et ce, tous les jours de la semaine.
Je ne m’attendais pas à une visite de courtoisie, bien sûr, mais je fus tout de même troublée par l’expression sinistre de Brian. Et c’était avant qu’il découvre mon visage contusionné et abîmé.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-il, l’air horrifié.
— Rien de grave, répondis-je en espérant éviter miraculeusement une grosse scène bien dramatique. Deux potes de Tommy Brewster ont pensé que je devais lui foutre la paix et je n’étais pas d’accord. Mais vraiment, ça va. Et, oui, je l’ai signalé à la police.
Il me regarda sans rien dire pendant un moment. Le silence se prolongea, me mettant mal à l’aise, et je suis certaine que telle était l’intention de Brian. Mais je me retins tout de même de lui balancer une réplique bien sentie.
— C’est l’affaire prétendument sans danger, c’est ça ? demanda-t-il. Celle que tu m’as assuré avoir transmise à Adam ?
— Si tu es venu pour me passer un savon, alors tu peux faire demi-tour et aller voir ailleurs avant que les choses tournent mal. Je ne suis vraiment pas d’humeur.
Ses épaules s’affaissèrent et il eut l’air de se calmer.
— Je vois que les vieilles habitudes ont la vie dure. Désolé, je ne peux pas partir maintenant.
Me rappelant son air sinistre, je sus que tout cela n’augurait rien de bon. Je lui servis un café pour gagner du temps. Mais je ne pouvais retarder plus longtemps l’échéance.
— D’accord, dis-je avec un soupir résigné. Dis-moi ce qui ne va pas.
Les mains serrées autour de ma seconde tasse de café, j’essayai de rassembler tout mon courage pour affronter la vilaine bête qui allait pointer son nez.
Brian posa son mug et s’appuya contre le comptoir de la cuisine. Je crois qu’il essayait d’avoir l’air calme et normal, sans vraiment y parvenir.
— Quand je suis descendu à l’accueil ce matin pour aller chercher mon journal, dit-il, il y avait une lettre dans ma boîte. Le veilleur de nuit m’a dit qu’elle avait été déposée par une jeune femme, mais il n’avait aucune idée de qui il pouvait s’agir ni même d’où elle était allée.
Voilà qui ne sentait pas bon du tout.
— Quel était le message ? demandai-je.
Il ne répondit pas, mais plongea la main dans la poche intérieure de sa veste pour en sortir une enveloppe unie blanche. Quand il me la tendit, je vis mon nom tapé à la machine. L’enveloppe était toujours fermée.
Fermant les yeux un instant, je luttai contre une bouffée d’apitoiement sur moi-même. Je n’avais pas mon compte d’ennuis dans la vie ? Avais-je vraiment besoin qu’on m’adresse des lettres mystérieuses par le biais de Brian ?
— Si quelqu’un voulait me donner cette lettre, hésitai-je, pourquoi la déposer à ton adresse ?
— Je ne sais pas, répondit-il, l’air inquiet.
Je regardai l’enveloppe en essayant de deviner ce qui pouvait se trouver à l’intérieur. Je suppose que je dus la regarder trop longtemps parce que Brian se fit soudain pressant.
— Eh bien ? Tu ne l’ouvres pas ?
— Arrête un peu, rétorquai-je, m’en voulant aussitôt de m’en prendre au messager. Désolée. Je n’arrive pas à imaginer qu’il puisse y avoir quelque chose de bon là-dedans et je ne suis pas pressée d’ajouter à mes problèmes.
Brian eut un léger sourire.
— Les avocats sont souvent porteurs de mauvaises nouvelles. J’ai l’habitude de ne pas être apprécié.
— Ha ha, dis-je, même si je n’étais pas certaine qu’il s’agisse d’une plaisanterie. Tu me laisses une minute ?
Je ne voulais pas qu’il regarde par-dessus mon épaule pendant que je lisais, juste au cas où…
Il haussa les sourcils.
— J’ai délivré le message, maintenant je suis congédié, c’est ça ?
Je luttai de nouveau contre l’envie de le gifler.
— Je ne te congédie pas. Je veux juste avoir un moment de calme pour ouvrir cette enveloppe et lire la lettre. C’est trop demander ?
Il m’adressa un regard de reproche, mais il s’écarta du comptoir et sortit de la cuisine en tapant des pieds. Malgré son départ, j’avais encore du mal à ouvrir cette enveloppe, mais je ne pouvais repousser ce moment plus longtemps.
Essayant de m’armer contre toutes les possibilités, je glissai un doigt sous le rabat et déchirai l’enveloppe.
À l’intérieur, il y avait une photo accompagnée d’une lettre manuscrite. La photo était celle que Claudia m’avait montrée au restaurant, celle de ses deux filles adoptées.
La lettre était de Claudia.
« Mademoiselle Kingsley,
Ils ont mes filles. Je suis désolée de ne pas avoir été capable de vous dire la vérité concernant les raisons pour lesquelles je souhaitais que vous laissiez tomber l’affaire, mais on m’avait fait très clairement comprendre que je devais agir comme si tout allait bien. Pourtant, même si je ne vous connais pas très bien, je suppose que vous êtes le genre de personne qui n’acceptera pas d’abandonner cette enquête seulement parce qu’on lui a demandé. Aussi ai-je cru bon de prendre le risque de vous contacter.
Ils surveillent le moindre de mes mouvements et probablement les vôtres aussi. Je ne peux vous contacter en personne, mais j’essaierai de vous faire porter cette lettre d’une manière détournée afin que nous ne soyons pas repérées. J’espère juste qu’elle ne vous parviendra pas trop tard.
J’aime mon fils, plus que je peux l’exprimer. Je regrette désespérément de ne pas avoir su quoi faire pour le sauver. Mais je ne peux risquer la vie de mes filles. Ce sont des enfants innocentes et je ne supporte pas de faire quoi que ce soit qui puisse les mettre en danger. Les kidnappeurs ont insisté sur le fait qu’avec deux otages, ils auront la possibilité de tuer une fillette pour faire passer le message, au cas où nous ne serions « pas sages », comme ils ont dit. Je vous en prie, mademoiselle Kingsley. Laissez tomber cette affaire. Ne posez plus de questions. Ce sont des personnes très mauvaises et je crois qu’ils n’hésiteront pas à faire du mal aux filles. Ne leur donnez pas cette excuse.
Claudia »
Mon cœur manqua un battement. Juste ce dont j’avais besoin. Une prise d’otages. Et après avoir passé la nuit à interroger Shae au sujet de Tommy. Je vous en prie, mon Dieu, ne laissez pas ces salauds se venger sur ces enfants !
Ma gorge se noua et je déglutis pour essayer de la soulager. Je ne pouvais rien faire pour changer le passé et si les amis de Tommy avaient découvert ce que j’avais fait la veille alors il était possible qu’une des deux fillettes soit déjà condamnée. Les larmes me piquaient les yeux et je maudis Tommy Brewster et tous ses amis démons. Pendant que j’y étais, je maudis Raphael pour avoir permis tout ce fichu programme d’élevage et pour les informations qu’il détenait sûrement en ce moment.
J’entendis Brian allumer la télé dans le salon. Devais-je lui montrer la lettre ? Aurait-il une meilleure idée que moi ? Je laissai échapper un soupir douloureux avant de fermer les yeux. C’était de monsieur « Dans-les-règles » dont je parlais. Sa première réaction en voyant cette lettre serait de prévenir la police. Lui et moi nous trouvions à des extrémités opposées sur l’échelle du cynisme. Il penserait sans aucun doute que la police serait en mesure de nous aider dans une telle situation. Moi, je croyais que l’intervention de la police conduirait à la mort des fillettes. Ce qui signifiait que je ne pouvais pas lui en parler.
— Ton monsieur Dans-les-règles m’a aidé à organiser la mort de ton père, me murmura la voix de Lugh, et je fis mon possible pour réprimer un grognement.
De toute évidence, je devais être au bord de la crise de nerfs car le pare-feu de mon inconscient avait l’air de ne pas fonctionner.
— Reste en dehors de ma tête, Lugh, pensai-je furieusement à son attention.
J’eus le vague sentiment de l’entendre rire, mais il n’ajouta rien. Une défaillance momentanée, une petite faille dans mes défenses.
Il avait raison au sujet de l’armure ternie de Brian. Mais rien ne m’assurait que celui-ci n’irait pas trouver la police pour cette histoire de lettre. Il avait aidé Lugh avec mon père parce qu’il n’avait pas vu d’autre solution pour me sauver. Dans la situation présente, il était plus probable qu’il mettrait plus d’espoir dans la police qu’en moi.
La télé s’éteignit et j’entendis les pas de Brian approcher. Je suppose qu’il en avait eu assez d’attendre. Espérant pouvoir apaiser la folle allure de mon cœur, je repliai la photo dans la lettre et fourrai celle-ci dans l’enveloppe juste au moment où Brian entrait dans la cuisine.
Nous engageâmes un bras de fer visuel qui prit fin par ce qui me parut être un forfait. Le regard de Brian était obscurci par la douleur.
— Tu ne vas pas me dire de quoi ça parle, n’est-ce pas ? demanda-t-il, et la souffrance dans sa voix me fut insupportable.
— Je suis désolée, dis-je, la voix empreinte d’un regret sincère.
Je regrettais de ne pas lui faire assez confiance pour lui raconter toute l’histoire. Il semblait tout à fait injuste, même à mes yeux, que je l’aime autant et que je sois incapable de lui faire confiance. Et ce que j’aimais chez lui, c’était sa bienfaisance. J’aimais qu’il veuille toujours ce qui était bien, même si çe n’était pas dans son intérêt. J’aimais son sens de l’honneur et de la bienséance, même si parfois je le maudissais aussi pour les mêmes raisons. J’aimais sa foi dans la bonté humaine, même si je ne la partageais pas.
Brian baissa les yeux sur le sol de la cuisine et secoua la tête.
— Pourquoi est-ce que j’espère encore ? marmonna-t-il.
Ces paroles me frappèrent au cœur comme un coup de poignard.
— Brian, commençai-je en tendant la main vers lui, mais je ne trouvai rien à dire pour soulager sa peine.
Il s’écarta de ma main tendue. Je tressaillis devant son mouvement de rejet, puis de nouveau quand il arbora son masque d’avocat. Malgré tout, je soutins son regard.
— Je suppose que je te connais mieux que tu me connais, dit-il.
Je fronçai les sourcils sans comprendre.
— Bon sang, mais qu’est-ce que ça veut dire ? demandai-je, espérant avoir l’air en colère plutôt que blessée.
Je crois que j’y parvins mais, si Brian me connaissait autant qu’il le prétendait, il devait avoir tout compris. Les bras croisés sur son torse, il affrontait toujours mon regard, dissimulant ses émotions derrière son masque d’avocat.
— Est-ce parce que tu essaies encore de me protéger ou parce que tu as peur que j’aille voir la police ? Je n’arrive pas à savoir.
Je suis capable parfois d’être assez bouchée, mais là je n’eus aucun problème pour comprendre où il voulait en venir. La colère feinte se transforma en véritable rage.
— Tu as ouvert la lettre, espèce de salopard !
Brian décroisa les bras puis se couvrit les yeux d’une main en s’esclaffant avec amertume.
— Tu es vraiment incroyable, tu sais.
— Quoi ?
— C’est fou, tu peux transformer n’importe quelle situation en une occasion de te mettre en colère après quelqu’un, peu importe ce que tu as pu faire.
Je lui jetai un regard furieux.
— Si tu viens juste de le découvrir alors tu ne me connais pas autant que tu le prétends.
Il acquiesça d’un air raisonnable.
— Bien. Alors nous allons nous engueuler parce que j’ai lu la lettre et nous omettrons juste d’aborder le fait qu’encore une fois tu as décidé de m’écarter de ta vie.
J’aime Brian à mort, mais j’avais vraiment envie de le gifler.
— Ne fais pas ta reine de la tragédie, tu veux ! La vie de deux enfants est en danger et tu veux discuter du manque d’ouverture dans notre relation ? Apprends à relativiser.
Il pouffa d’un air indigné. Si je l’avais laissé placer un mot, il m’aurait sans doute remise à ma place. C’est pourquoi je ne lui laissai pas cette chance.
— Je ne voulais pas t’en parler parce qu’en effet j’avais peur que tu veuilles appeler la police et, oui, je pense que c’est une idée stupide. Si je me trompe et que tu n’as jamais envisagé d’appeler les flics, alors je t’en prie, enduis-moi de goudron et de plumes. Sinon, mets-la en veilleuse.
Ses lèvres esquissèrent un sourire qui semblait complètement déplacé compte tenu de la situation.
— Je peux utiliser ta gazinière ?
— Quoi ? dis-je en me demandant s’il n’avait pas perdu la tête.
— Pour faire chauffer le goudron.
J’ouvris la bouche mais mon cerveau se mit en grève et refusa de m’alimenter en répliques cassantes.
— Voilà ce que je te propose, dit-il. (Je suis prête à jurer qu’il savourait ma déconvenue.) Puisque tu t’entends si bien avec le directeur des Forces spéciales, tu n’as qu’à l’appeler. Je suppose que, techniquement, cela revient à appeler la police, mais il sera probablement capable de savoir s’il doit traiter cette affaire dans le cadre de ses fonctions officielles ou bien s’il doit agir de manière confidentielle.
Une fois encore, je ne sus quoi répondre… à part une onomatopée quelconque. Peut-être que le manque de sommeil avait détruit plus de cellules de mon cerveau que je le pensais. Ou peut-être que je cherchais juste la bagarre, parce que… Hé ho, faut pas me chercher, moi !
— Tu n’aurais quand même pas dû la lire, dis-je, mais il n’y avait plus aucune colère dans ma voix.
— Tu vas appeler Adam, oui ou non ?
J’aurais voulu lui demander ce qu’il ferait dans le cas contraire, mais j’étais trop pétocharde. J’étais sûre qu’il appellerait Adam lui-même et nous serions alors bons pour une autre dispute. Pour une fois, je n’avais pas envie de ça.
— Ouais, je vais l’appeler.